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Les potelets métalliques, cauchemar du piéton

On en voit partout, peints d’un marron aussi lisse qu’inusable, disposés à intervalles réguliers sur le trottoir. A ces poteaux métalliques d’environ un mètre de hauteur, les techniciens de la voirie ont donné le doux nom de “potelets”, bien que le grand public, ignorant les circonlocutions administratives, préfère les appeler “bites”. On en compterait 50 000 à Bordeaux, 100 000 à Marseille et exactement 354 642 à Paris, d’après [cette infographie] parue dans lemonde.fr début juillet. Selon [Wikipédia], c’est plutôt dans toute la France qu’on en compte 335 000. Quel qu’en soit le nombre réel, les potelets ont aussi envahi La Rochelle, Aix-en-Provence ou Bergerac, et se postent même devant la mairie-école du petit village de Cléry (Savoie). ![potelets à Cléry (en Savoie), 421 habitants.][Cléry]

Balisettes. Les potelets, apparus il y a quelques décennies, sont une réponse physique au stationnement sauvage qui prend ses aises sur le trottoir ou tout autre espace piétonnier. Le magazine Terra Eco y a consacré [un article exhaustif] il y a quelques mois. Leur forme varie selon la fantaisie des services, le budget consacré à la voirie ou les particularités du quartier. Ils gagnent en épaisseur, se font boules, préfèrent le plastique au métal – et sont alors baptisés “balisettes” – ou se transforment à l’occasion en véritables barrières. Parfois, la municipalité pousse le sens de l’appropriation jusqu’à les garnir de ses armoiries ou leur sculpter une petite couronne.

Les potelets servent à “protéger le stationnement”, selon [l’expression en vigueur]. ![potelets à Frontenex en Savoie] S’ils remplissent généralement la fonction pour laquelle on les a inventés, leur usage est parfois détourné. Ainsi, certains d’entre eux sont amovibles ; on les actionne à l’aide d’une simple clef qui circule de main en main. C’est fréquent à Marseille, dit-on. Un petit clic, une main charitable qui soulève le potelet, la voiture passe, on remet tout en place et le tour est joué. Il existe même des potelets non officiels, posés par des particuliers qui protègent ainsi leur place de parking – évidemment illégale – sur le trottoir.
![subtilisé à la marseillaise : deux boules, une chaîne][boules&chaine]

Effet pervers. Mais ce n’est pas le plus grave. Les potelets entravent la marche. Le trottoir est amputé sur toute sa longueur d’un espace d’une vingtaine de centimètres, nécessaire à la disposition de ces pièces métalliques. Par ailleurs, protégées par les potelets qui agissent exactement comme des glissières de sécurité, les voitures déboulent à bonne vitesse. La situation est d’autant plus absurde que ces poteaux sont justement disposés dans des rues plutôt étroites et réservées à la circulation locale. Le message est on ne peut plus clair : les automobilistes peuvent foncer, sans se soucier des piétons, puisque ces derniers demeurent confinés dans leur espace bien à eux. On aboutit dans certaines villes à l’aberration suivante : 80% de l’espace est réservé à 20% des usagers, ceux qui circulent en voiture, tandis que les 80% restants, à pied, se contentent de 20% de la voirie. Les potelets, reliquats de l’époque où l’on aménageait l’espace urbain en fonction de la seule voiture, dessinent des couloirs de vitesse semblables à ceux que produisent, dans les villes d’Europe centrale ([ici à Kiev]), les sous-passages pour piétons.

Horreur du vide. Enfin, ces bâtons disposés à distance régulière ont horreur du vide. Sur cette bande de trottoir la plus proche de la rue, de facto impraticable pour le piéton, on range des poubelles, on gare des scooters, et les services municipaux installent même, de manière définitive, quelques éléments de mobilier urbain. ![piétons en-deça des barrières][trottoir encombré] Et ainsi, traverser la rue, à pied, devient non seulement compliqué, mais périlleux. Avec tous ces obstacles, impossible de voir les voitures arriver. [Même les motards] craignent les aménagements anti-stationnement, sur lesquels ils risquent de se blesser s’ils tombent.

Zones 30. Il existe pourtant bien d’autres manières d’aménager les rues pour dissuader le stationnement, tout en réservant vraiment l’espace aux piétons. Cela implique de considérer le problème dans sa globalité et de se poser la question de la place respective des différents usagers. En ralentissant la ville ([des arguments en ce sens à lire ici]), on l’adapte à la circulation piétonne, ainsi, on s’en doute, qu’aux usages apaisés, [vélo], [trottinette] ou rollers. Les “[zones 30]”, où la vitesse est limitée à 30 km/h, sont l’instrument légal de cette volonté politique. Si on n’a qu’une confiance mesurée dans le respect de la loi, on peut rétrécir les voies, comme sur les voies sur berges parisiennes, ce qui conduit mécaniquement les automobilistes à ralentir, dessiner des chicanes voire “mettre des gens”, dit l’anthropologue suisse (d’origine portugaise, certes) Sonia Lavadinho. Cela revient, selon elle, à piétonniser en partie l’espace en installant des terrasses de café, des attaches pour vélos, des œuvres d’art, etc. Des aménagements en tous cas bien plus ludiques que ces pauvres bites.

Les potelets font partie, qu’on le veuille ou non, de l’univers urbain. Parfois, des riverains ou des artistes se les réapproprient, et les décorent, Enfin, l’ultime solution imaginée par des militants (passablement déchaînés) consiste à délivrer aux automobilistes garés sur le trottoir des [fausses contraventions].

Source : lemonde.fr

[Wikipédia]: https://fr.wikipedia.org/wiki/Potelet