Ils détestent Powerpoint.
Les aveugles, parce que généralement les conférences avec support Powerpoint sont ponctuées de phrases du type : “comme vous pouvez le voir sur cette diapositive”.
Or le principe c’est généralement que si je suis aveugle je ne peux pas voir la diapositive qui, soit dit en passant, n’est plus une diapositive depuis quelques années …
Et Jeff Bezos, le célèbre PDG d’Amazon, parce que son souci légendaire de l’efficacité l’a amené dès juin 2004 à écrire un mail à ses équipes pour leur interdire les présentations Powerpoint.
Si, pour les aveugles, on comprend aisément ce qui coince, on pourrait se dire que, pour le reste du monde, si Powerpoint est autant entré dans les usages c’est pour de bonnes raisons et se demander quelle mouche a piqué notre cher Jeff.
Eh bien, dans son mail de juin 2004, il justifie sa position :
“Le texte narratif bien structuré est ce que nous recherchons plutôt que du texte simple. Si quelqu’un faisait une liste de puces dans Word, ce serait tout aussi mauvais que dans Powerpoint. C’est la raison pour laquelle écrire une note de service de 4 pages est plus difficile que d’écrire un Powerpoint de 20 pages. La structure narrative d’une bonne note de service force à une meilleure réflexion et une meilleure compréhension de ce qui est le plus important et de la façon dont les choses sont liées.
Les présentations de style Powerpoint donnent en quelque sorte la permission d’occulter les idées, d’aplatir les niveaux d’importance et d’ignorer la connectivité intérieure des idées.”
Quant à Steve Jobs, qui s’y connaissait un peu en présentations, il disait : “Je déteste la façon dont les gens utilisent les présentations de diapositives au lieu de réfléchir. Les gens font face aux problèmes en créant des présentations. Je veux qu’ils s’engagent, qu’ils s’amusent autour de la table, plutôt que de montrer un tas de diapositives. Des gens qui savent à peu près de quoi ils parlent n’ont pas besoin de Powerpoint.”
Mais Jeff et Steve ne sont pas les seuls à critiquer la pensée Powerpoint, la Harvard Business Review précise : “les puces laissent les relations critiques non spécifiées ». L’expert universitaire en présentation visuelle et sceptique du Powerpoint, Edward Tufte note :”Le PowerPoint facilite activement la réalisation de présentations légères.” À travers Powerpoint, tout a tendance à ressembler à un pitch plutôt qu’à une discussion : l’information est « storyboardée », pas étonnant qu’on s’ennuie.
Et s’ennuyer ce n’est pas le plus grave. Ce n’est pas un hasard si les deux présentations Powerpoint les plus célèbres sont :
- Celles faites aux responsables de la Nasa par des ingénieurs, expliquant avec un illogisme indiscutable pourquoi les tuiles endommagées sur la navette spatiale Columbia n’étaient probablement pas inquiétantes.
- Le discours tout aussi flou du général Colin Powell prônant la guerre contre l’Irak.
Les deux ayant abouti à des désastres.
Ce n’est pas pour rien que le brigadier général McMaster, de l’armée américaine, a par la suite comparé la prolifération des présentations en Powerpoint dans l’armée à une “menace interne”, affirmant : « C’est dangereux, car cela peut créer l’illusion de compréhension et l’illusion de contrôle. Certains problèmes ne sont pas traduisibles en bullets-points”.
Pour apporter de l’eau à ce moulin, il faut lire les accusations portées par l’écrivain français Franck Frommer dans son livre : “How Powerpoint Makes You Stupid”.
Aujourd’hui, certains chefs d’entreprises avisés suivent l’exemple de Steve Jobs et les conseils de Tufte en limitant l’utilisation du PP aux images. Et la science leur donne raison.
Dans un numéro spécial de “Question Sciences” consacré au cerveau et aux neurosciences, il est rappelé ceci : “Le cheminement d’un mot lu est proche de celui d’un mot entendu, sauf qu’une étape supplémentaire est nécessaire. Le mot lu est d’abord perçu par le cortex visuel. L’information est ensuite reconnue en tant que mot associé à la forme auditive correspondante.
Le reste de l’opération se déroule de la même manière que lorsqu’on écoute quelqu’un parler”.
Alors, quand Sylvie parle et que vous lisez en même temps sa diapo, il y a un goulet d’étranglement : les mots lus et entendus arrivent en même temps dans ce qu’on appelle “l’aire de Wernicke”, responsable de la compréhension du langage.
Là les personnes aveugles et malvoyantes ont un avantage : ils n’ont que le son et pas l’image.
Mais la leçon est évidente : écrire sur son slide ce que l’on dit est redondant et a un effet négatif sur ce que va retenir le public.
Il est donc scientifiquement prouvé que Powerpoint ne sera efficace que s’il est essentiellement visuel sans aucun élément superflu : ce n’est pas un document.
Il ne devra également pas répéter de manière écrite ce qui est dit à l’oral : ce n’est pas un prompteur ni un Karaoké.
Utilisons Powerpoint pour créer des visuels destinés à mieux comprendre et mémoriser si c’est indispensable.
Comment bien utiliser Powerpoint ?
Le concevoir ainsi, c’est faire différemment de tout ce que vous avez vu et fait depuis que Powerpoint existe, mais ce n’est qu’à ce prix que votre message sera entendu, compris et intégré.
Et concevez des notes intelligibles et accessibles que vous pourrez partager avant ou après les discussions et les présentations orales.
S’il est impératif de produire des visuels, faites simple, décrivez-les dans le texte alternatif des documents qui les portent et, si des personnes aveugles et malvoyantes assistent à la présentation, ne dites plus : “comme vous pouvez le voir” mais décrivez le visuel, si vous y arrivez c’est qu’il est bien réalisé.
Enfin pour aller plus loin, vous pouvez toujours adhérer à l’APPP, un parti politique anti-Powerpoint. Ça se passe en Suisse, un pays où des « Powerpoint Killers » se sont regroupés dans un même parti : le APPP, pour Parti politique anti-Powerpoint.
Anti-Powerpoint ou pas ?
L’APPP se définit comme le porte-parole d’à peu près 250 millions de personnes dans le monde, qui sont obligées, tous les mois, d’assister à des présentations ennuyeuses dans leur entreprise, leur université, ou d’autres institutions, et qui ne sont pas politiquement représentées jusqu’à présent.
Pour Matthias Poehm, leader du mouvement, ces présentations engendreraient une perte de productivité de 350 milliards d’euros par an. Pour ce parti : « Les salariés, les congressistes, les élèves et les étudiants qui préfèrent abandonner Powerpoint ne devraient plus avoir à se justifier.
En conclusion Powerpoint, discriminant pour les personnes aveugles et malvoyantes, pourrait faire chuter la productivité d’Amazon, et perturberait l’intelligence et la capacité d’apprendre d’une grande partie de l’humanité.