Il est des scènes bien ficelées qui manquent l’effet espéré. Il en est d’autres, beaucoup plus fortuites, dont la succulence fait regretter de ne pas avoir eu de caméra pour les capturer.
Le 13 décembre 2018, trois adhérents de Point de Vue sur la Ville, les mêmes personnes qu’à la dernière réunion (voir l’article du 21 novembre 2018), descendent du C26, place Jules Grandclément à Villeurbanne. Ils ont rendez-vous avec un technicien de la mairie et un représentant du SYTRAL, afin d’envisager un aménagement permettant de rendre les traversées praticables aux personnes déficientes visuelles. Le trottoir sur lequel ils se retrouvent est très étroit. De plus, une borne d’information voyageurs (BIV) a été installée à hauteur de visage. Ne reposant sur aucune structure, le dispositif dépasse sur toute sa longueur, et constitue donc un obstacle en hauteur. Moi, Jean-Paul, je le percute de la tête. Comme nous sommes masqués par le bus, les personnes qui nous attendent ne voient pas la scène. Mais celle-ci n’échappe pas à la conductrice, qui descend de son poste pour me dire qu’elle fera remonter l’incident. « Ça tombe bien, lui dis-je, nous avons justement rendez-vous avec une personne du SYTRAL.
Ce genre d’aberrations a le pouvoir de m’irriter : tant de cahiers des charges, tant de procédures à respecter pour entreprendre la moindre action, tant de technicité et d’expertise sollicitées pour le moindre équipement, pour aboutir à de telles énormités, qu’un peu d’intelligence pratique et de réflexion auraient suffi à éviter ! Pas de chance pour le représentant du SYTRAL ! Finalement, lui aussi s’en prend plein à la tête ! Mais après tout, il doit tout savoir. Sitôt donc après l’avoir irrévérencieusement salué, j’amorce une reconstitution de l’événement désagréable. D’un œil empli d’anticipation, nos interlocuteurs ont tout compris avant même la collision. Je suis photographié en pleine action et promis, ça va remonter dare-dare. Le représentant du[SYTRAL ne peut que déplorer cet agencement, résultant d’un bricolage final, quand les aménagements sont éclatés entre diverses entités, et que le sens des réalités finit par se prendre les pieds dans la chaîne des sous-traitants…
Il y a toutefois une explication recevable, à ce genre d’absurdités qui, nous l’apprenons, se répand sur le réseau. Ne voyons pas que persécution dans notre cité… Les bornes d’information voyageurs (BIV), coupables aujourd’hui, devraient bientôt coiffer des automates distributeurs solidement plantés dans le sol, destinés à la billetterie. En attendant la finalisation de ces équipements, combien de personnes, y compris clairvoyantes, s’éclateront la tête dans les BIV ? Et pourquoi le provisoire supporterait-il la négligence ? Ne dure-t-il d’ailleurs pas souvent longtemps ? Et puis il se déplace : la densité de travaux fait que les chantiers s’imposent dans la plupart de nos cheminements.
Cette évocation étant faite, abordons l’objet de notre rencontre.
Les feux piétons
Malgré le froid (celui de l’air également), nous commençons par nous pencher sur les feux piétons équipés de balise sonore, ceux qui sont conservés sur la moitié ouest de la place. Étant donné la complexité des lieux, il n’est pas simple de savoir quelle voie on peut traverser : on entend plusieurs messages en même temps. Pour compliquer le tableau, certaines de ces voies se traversent en deux ou trois temps. Rien de plus confus alors qu’une cloche indiquant le vert piéton. C’est là qu’un message explicite, de type : « le feu est vert cours Tolstoï nord » pourrait nous aider, à la condition d’avoir une fine connaissance de la géographie de cette place.
La station Vélov ?
Il faudra s’y faire, nous laisse-t-on entendre : celle-ci restera sur le trottoir. Immuable ! Peut-être des civilisations futures l’élimineront-elles, à moins qu’elles ne la consacrent en objet culturel pour les touristes d’un millénaire lointain… En attendant, nous ne pouvons que protester devant cet entêtement inadmissible.
Pourtant, il y a quelques années, il nous avait été promis que « les nouvelles stations Vélov seraient implantées sur la chaussée » dans la mesure où les Vélov se substituent aux véhicules automobiles.
On pense nous consoler en nous promettant de protéger cette station. C’est surtout nous qu’il faut protéger. Avec de gros plots en ciment… Et que faisons-nous quand nous les rencontrons ? Nous tournons autour ? Combien de fois ? Nous slalomons entre ces obstacles ? Ce type d’aménagement ne constitue, en aucun cas, une protection pour les aveugles. Nous suggérons une barrière ; on sait qu’une barrière, ça se suit, ça nous guide, ça nous permet de contourner la zone impénétrable… Mais on nous objecte qu’une barrière suggèrerait de mauvaises idées : des cyclistes y accrocheraient leurs vélos… Il est symptomatique qu’on puisse argumenter le refus d’une proposition par les incivilités qu’elle risquerait de favoriser. Plutôt que de s’en prendre aux incivilités elles-mêmes… C’est de l’évitement. Pour terminer sur le sujet des stations Velov, il fut suggéré en un autre lieu, et en attendant leur migration espérée vers la chaussée, de les cerner avec une bordure fournissant un ressaut suffisant pour qu’avec la canne blanche, nous les contournions sans trop de problèmes.
Suppression des feux tricolores
Dans cette zone réunissant sept axes, les feux tricolores, ainsi que les feux piétons ont été supprimés boulevard Eugène Réguillon, rue Léon Blum et avenue Général Leclerc. Voilà qui ne va guère sécuriser les parcours des personnes déficientes visuelles. La rue Léon Blum ne devrait être empruntée que par des bus, ce qui selon le [SYTRAL] ne nécessite pas de feux. Curieuse déduction. Comment entendre arriver ces véhicules qui de surcroît sont électriques ou équipés de moteurs Diesel à l’arrière ? Et les autres véhicules contrevenant à la spécificité de cette rue ? Il est vrai que ces derniers ne s’encombreraient guère des feux rouges… Quant à l’avenue Leclerc, elle va voir arriver le tramway T 6. Il va être bien dangereux de la traverser. Afin de matérialiser le cheminement depuis la traversée de Réguillon, jusqu’à celle de la rue Léon Blum, il serait envisagé, selon nos prescriptions à Point de Vue sur la Ville, d’aménager deux [bandes de guidage] parallèles. Des [bandes d’éveil à la vigilance] [BEV] seront installées. Par contre, et pour continuer le tour, rien ne permet de repérer le circuit à emprunter entre la traversée de la rue Jean Jaurès et celle du cours Tolstoï, hormis une rugosité différente du sol. Cela signifie que seuls les initiés pourraient retrouver leur chemin. Une [bande de guidage] serait nécessaire là aussi. S’il n’y a pas lieu d’en mettre partout, il importe que nous puissions nous repérer grâce à un code cohérent, qui ne soit pas attaché à tel ou tel portion de la ville.
Toutes ces difficultés ne vont pas inciter les personnes déficientes visuelles à sortir de chez elles. L’exclusion progresse !
Jean-Paul Chanel