Autonomie, sécurité et liberté de déplacement

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L’oreille qui voit

Par Jean-Marc MEYRAT
(magazine Clin d’œil de Novembre 2013, organe de la Fédération Suisse des Aveugles et Mal-Voyants FSA)

L’écholocation humaine est la capacité des humains de détecter des objets dans leur environnement au travers d’échos reçus de ces objets suite à l’émission des sons.

Cette technique est utilisée par certaines personnes aveugles pour se déplacer dans leur environnement, parfois même sans qu’elles s’en rendent compte. Elles émettent des sons en tapant le sol de leur canne blanche, en tapant du pied, en claquant des doigts ou en produisant des claquements de langue. Ainsi, si les objets deviennent visibles en réfléchissant la lumière, de même ils deviennent audibles en répercutant un son.

L’écholocation humaine est similaire dans son principe au sonar d’un sous-marin ou à l’écholocation animale employée par certains animaux comme la chauve-souris ou le dauphin pour localiser des obstacles ou des proies. Chez la chauve-souris, ce système remplace une vision très faible ou inexistante, tandis que chez le dauphin il la complète.

En interprétant les sons réfléchis par les objets environnants, une personne entraînée peut identifier de façon précise la position et souvent même la taille des objets à proximité et utiliser ainsi ces informations pour contourner les obstacles et se déplacer d’un point à un autre. Ne soyez donc pas srupris de voir une personne aveugle se faufiler entre deux voitures stationnées sans les toucher. Ne soyez pas davantage étonné que cette même personne, sans avoir compter ses pas, contourne le coin d’un bâtiment sans même l’avoir effleuré du bout de sa canne blanche. Non, ce n’est pas un « faux handicapé », c’est simplement une personne qui exploite de manière optimale le sens de l’ouïe.

Etudes sur l’écholocation humaine.

L’utilisation de l’ouïe par les aveugles est mentionnée par Denis DIDEROT dans sa « lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient » en 1749. Voir avec l’oreille est un talent ancien. Par temps bouché, les marins tiraient des coups de feu pour repérer la présence de la terre ferme. Curieusement, la science a mis du temps avant d’admettre la réalité du phénomène.

Les premières expériences scientifiques sur le sujet débute vraiment en 1944, avec les travaux de Michaels SUPA et de son équipe qui confirment que c’est bien l’écho des sons qu’elles émettent qui permettent aux personnes aveugles entraînés de déterminer la distance de certains obstacles.

En 2011, une équipe canadienne dirigée par Melvin A GOODALE (University of western ontario) a publié dans la revue « Plos One » un article consacré à l’écholocation humaine chez des personnes aveugles grâce au claquement de la langue contre le palais qui produit des sons dont l’écho peut être localisé à 3 ° près.

Plusieurs équipes de chercheurs se sont attaqués à cet étrange phénomène qui fait parfois passer la personne aveugle pour Superman. Lore THALER, de cette même université canadienne, a observé via le scanner, l’activité cérébrale de deux personnes aveugles pariculièrement doués par l’écholocation, grâce auxquelles elle a pu déterminer quelles régions du cerveau sont sollicitées. Si l’expérimentation s’est déroulée avec ces deux écholocalisateurs-là, c’est principalement parce qu’ils étaient capables d’interpréter l’enregistrement de leurs claquements de langue et les échos sonores respectifs malgré l’environnement bruyant du scanner.

L’un des résultats les plus surprenants de cette expérience fut de démontrer que ce ne sont pas les régions auditives du cerveau mais bien celles attachées à la vision qui présentent une recrudescence d’activité. Le cortexs visuel de nos deux amis canadiens observait une nette recrudescence d’activité lors de l’écoute des claquements suivis de l’écho. Lorsque seuls les claquements étaient représentés, cette suractivation n’était pas observée. Cette étude montre que, si l’on s’en tient à l’activité cérébrale, on peut conclure que l’écholocation humaine produit vraisemblablement une scène visuelle et spatiale de l’environnement, comme le font les chauve-souris. L’auteur n’hésite pas à parler de capacité latente. Quoiqu’il en soit, les performances des deux personnes aveugles canadiennes étudiées sont remarquables. Elles sont capables de percevoir, d’identifier des objets et même de « voir » leur mouvement grâce à l’écholocation, cette dernière capacité, probablement grâce à l’effet Doppler. (l’effet Doppler est le décalage de fréquence d’une onde acoustique entre la mesure à l’émission et la meszure à la réception lorsque la distance entre l’émetteur et le récepteur varie au cours du temps). Cet effet fut présenté par le mathématicien et physicien autrichien Christian ANDREAS DOPPLER en 1842 dans l’article « sur la lumière colorée des étoiles doubles et d’autres étoiles du ciel ».

Le Batman californien.

Le californien Daniel KISH , aveugle depuis l’âge de deux ans, a développé la technique de l’écholocation pour les personnes déficientes visuelles. Il travaille avec des personnes aveugles et enseigne comment utiliser cette méthode par le biais de son organisation « world access for the blind ». Il appelle cette méthode « mobilité perceptuelle ». Dan identifie à un mètre la présence d’une barre épaisse comme le pouce, celle d’une hydrante à trois mètres et celle d’une voiture à cinq mètres. Il localise un gros bâtiment à cent mètres en tapant simplement des mains ou en claquant des doigts en fonction du bruit ambiant. Il ne lui faut pas un don surnaturel, simplement l’audace d’émettre un son, une écoute vigilante et une bonne faculté d’interprétation.

Mais il faut de l’entraînement pour se faire une image auditive précise. Avec cette technique, les personnes aveugles entraînées voient beaucoup plus loin qu’avec la canne blanche. Pour autant, Daniel KISH n’oublie jamais sa fidèle canne. Il en a besoin pour repérer les inégalités du sol qu’il ne peut sonder à l’oreille. Il voudrait, à l’aide de l’écholocation, donner aux aveugles leur liberté de mouvement individuelle et leur sens d’orientation personnelle.

A l’initiative de René JAUN et Marc FEHLMANN, tous deux membres de la Fédération Suisse des Aveugles et mal-voyants (FSA), Daniel KISH avait dispensé une formation sur l’écholocation à plus de 40 participants en Suisse.

Cela s’apprend.

L’écholocation peut améliorer l’autonomie des personnes aveugles ou très mal-voyantes dans leur vie quotidienne. Cette méthode offre d’intéressantes perspectives, quand on sait que l’écholocation peut être développée à partir de l’entraînement.

Bien qu’elle fût étudiée depuis plusieurs années, le fait qu’il s’agit d’une capacité que l’on peut entraîner a été à nouveau démontré en 2009. L’équipe d’Antonio MARTINEZ ROJAS a alors montré que n’importe qui, aveugle ou non, était capable d’apprendre à utiliser l’écholocation au moins partiellement. Après un entraînement de deux semaines, deux heures par jour, une personne peut être capable d’une reconnaissance simple, à savoir déterminer grâce à l’écholocation si, en face d’elle, se retrouve un gros obstacle ou si la voie est libre.

Le vide a aussi son importance. Le sens des masses est une perception qui s’acquiert progressivement, sauf pour les aveugles de naissance dont le cerveau est en quelque sorte adapté. Ce sens des masses permet de capter les résonnances renvoyées par les parois d’un volume. Pour une bonne représentation dans l’espace, il faut se servir de tout. Les vides sont donc également utiles à la compréhension de l’environnement car ils peuvent correspondre, par exemple, à l’entrée d’un immeuble, à une porte ouverte dans un appartement ou à l’ouverture d’une rue.

Quelques échos du terrain.

Nombre de personnes aveugles de naissance ou ayant perdu la vue dans leurs jeunes années, pratiquent l’écholocation sans l’avoir apprise. Tel est le cas de Daniel BAUD, aveugle de naissance âgé de 69 ans. Il reconnaît n’avoir jamais pris aucun cours de locomotion. C’est le bruit qu’émet sa canne blanche qui lui indique la redoutable présence d’un camion arrêté sur le trottoir. De même, c’est le bruit occasionné par ses chaussures sur un sol non moquetté qui lui révèle la cage d’escalier dans un lieu inconnu.

L’interprétation de ces informations, complémentaires à celles données par l’utilisateur originel de la canne blanche, n’en exige pas moins une grande concentration.

Pascal MONNARD est instructeur en locomotion. Il tente systématiquement de sensibiliser ses apprenants à la problématique de l’écholocation. Ainsi, il a convaincu un de ses protégés âgé de 14 ans de taper de temps à autre quelques petits coups avec sa canne blanche pour déterminer précisément l’emplacement de son abribus et le couloir de son immeuble. Il s’agit là d’un début prometteur augurant positivement le recours à l’écholocation dans d’autres circonstances.

Âgée de 35 ans, Christine CLOUX est aussi aveugle de naissance. Dans ses trajets quotidiens, elle recourt constamment à l’écholocation. Incroyable mais vrai : par la simple pression de l’air ambiant sur ses tympans, elle est capable de se faire une image spatiale d’une pièce et de son mobilier.

Pour conclure, force est d’admettre que toutes les personnes handicapées de la vue ne possèdent pas le même potentiel de perception et les mêmes facultés d’interprétation. Cependant, quelque soit le niveau d’intégration de l’écholocation ou de la détection des volumes dans son quotidien, la personne aveugle ou mal-voyante peut acquérir une autonomie accrue dans ses déplacements devenus plus fluides.