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Il ne manquait que le violon, à la Fête de la Musique

Une dizaine d’enseignants déficients visuels se retrouve pour une semaine de stage au CNEFEI de Suresnes. C’est le 21 juin, il fait beau, et nous sommes à Paris ! « Et si nous allions ce soir, à la Fête de la Musique ? »

Presque tout le monde se dégonfle au fur et à mesure que la soirée approche. Sauf deux téméraires : Jean, aveugle complet, et Jean-Paul, à l’époque malvoyant sévère. Tout le monde pensait qu’ils renonceraient au dernier moment, mais non, ils partent. Même pas peur !

Nous (Jean-Paul, c’est moi) prenons un bus. Ca commence mal, la direction n’est pas bonne : nous filons vers l’ouest, à l’opposé de Paris ; ça se voit bien puisque nous faisons face à un soleil couchant très éblouissant. Terminus à Nanterre, près de la station du RER, la belle aubaine : nous allons carrément aller au Châtelet… Même pas peur disais-je…

Au Châtelet, un soir de Fête de la Musique… L’océan humain commence dès la sortie de la rame… Dans la foule d’une densité pas vraiment anticipée, nous réussissons l’exploit de ne nous perdre qu’une seule fois. Notre binôme se reconstitue quelques minutes plus tard, grâce à l’intervention d’une jeune dame, après quoi, nous déployons une énergie de cohésion proche de celle qui lie les particules du noyau atomique… On entend de la musique, surtout des percussions, mais rien ne nous cloue franchement d’extase. Nous marchons, au gré des vagues… Nous ne sommes pas perdus, puisque nous sommes à Paris. Les terrasses sont pleines. Mais à force de persistance, nous finissons par trouver une table. Nous commandons une bière que nous savourons en écoutant une petite formation de jazz. Nous n’irons pas plus loin ! Prenons tout notre temps, nous rentrerons ensuite en taxi ; c’est si simple… A l’époque, je pouvais distinguer nettement le lumineux situé sur le toit des taxis.

Il est aux alentours de minuit quand je commence ma traque des taxis. Aucun ne réagit à mes signes, lancés le long de la rue de Rivoli ou du boulevard de Sébastopol que nous parcourons d’un sens à l’autre. Aucun ne réagit. Patience… Oui, mais la patience, ça ne dure qu’un temps… Au bout d’une heure, il faut faire quelque chose… On est au début des années 90 et n’étant pas à la pointe de l’avant-garde, nous ne sommes pas équipés, ni l’un, ni l’autre, d’un téléphone portable. Le mieux est donc d’aller dans un bistro et de nous faire appeler un taxi. C’est si simple. Le serveur est très compréhensif, mais toutes ses tentatives d’appel demeurent infructueuses : les centraux ne répondent pas. Après avoir réglé nos consommations, il ne nous reste plus qu’à reprendre notre chasse aux lumineux sur les toits d’auto. Le quartier n’a pas franchement désempli et nous n’avons guère plus de chance. C’est alors que nous rencontrons des policiers à qui nous expliquons notre situation. Ils nous indiquent la direction du commissariat du 5ème, tout proche : « Ils vont vous appeler un taxi… » Ah oui, mais au commissariat, on n’a pas forcément plus de chance que dans les bistros, avec les répondeurs des centraux de taxis…

« Si nous avions un véhicule disponible, nous déclare un gardien de la paix, nous vous emmènerions à une station, et avec votre priorité, vous auriez un taxi tout de suite… » « Ça aurait de l’allure, me dis-je intérieurement, de débarquer d’une voiture de flics, et de sauter dans un taxi… Il ne manquerait plus que la sirène… »

Nous attendons, longuement, sur les bancs du commissariat. Il y a de l’animation, quelques retours d’interventions bruyamment commentées…

C’est à 3 heures 30, qu’il y aura un véhicule disponible. Nous prenons place à l’arrière, puis nous filons en direction des stations du quartier. Ca ne s’arrange pas : aucun véhicule en station, mais des files de clients en attente…

C’est là qu’il doit se passer quelque chose : il faut en finir avec ces deux bigleux qui ne troublent pas l’ordre public. Alors, l’incroyable, l’inespéré se déroule : ô non, quand même pas, mais si, la voiture de police se lance, sirène hurlante, dans la rue de Rivoli, à la poursuite des taxis sans clients. Et il y en a ! Quatre ou cinq, qui ne veulent pas obtempérer, s’il vous plaît ! Pourvu qu’on nous croit, quand on va raconter ça… Le plus dur est de ne pas manifester sa jubilation : on n’est tout de même pas à la vogue…

Soudain, c’est le dénouement, en quelques secondes, mais c’est peut-être comme ça dans les histoires policières, la voiture de police bloque un taxi qui s’apprêtait à charger un couple. « Vous emmenez ces messieurs à Suresnes. » Pas de discussion ! Nous sommes largués, propulsés… et sans doute bien vite oubliés.

Il n’est pas loin de cinq heures, un certain Paris ne va pas tarder de s’éveiller, tandis que le paris des noctambules finit de rentrer, quand nous regagnons l’internat du CNEFEI. J’ai du mal à trouver le sommeil, pour ces quelques lambeaux de nuit qui me restent, tant je suis excité à l’idée de raconter cette anecdote savoureuse à mes collègues trop sages, tout à l’heure, au petit déjeuner.

Je ne partagerai même pas cette joie avec Jean, qui lui se fera une petite grasse matinée. Ca valait tout de même le déplacement…