Vous ne la connaissez pas, elle est trop discrète. Angèle est une personne âgée, elle trottine à petit pas précédée de sa canne blanche. Ah, oui ! j’ai oublié de vous dire, Angèle est aveugle. Elle connait bien ses parcours dans un quartier sympa et familial d’une grande ville. Elle a de la chance, c’est une vile où dans les carrefours, les feux sont sonores et informent correctement des noms de rues que l’on traverse.
Angèle connait ses parcours, toujours les mêmes, autant que faire se peut, elle tient à son autonomie. Ce beau matin d’automne, elle est tranquille, concentrée sur son chemin, pas question de vagabonder mais surtout, elle doit conserver précieusement ses repères.
Soudain, patatras !… un ouragan, mme Charité arrive. Angèle veut traverser, comme à son habitude, mais Mme Charité intervient :
– ” non, non, ce n’est pas par là que vous devez passer”.
Pas le temps de s’extraire de sa concentration, Mme Charité empoigne manu militari le bras de Angèle et l’entraîne vigoureusement sur le passage.
– “ouh lala, ça va trop vite ! que faire de ma canne ? Où suis-je ? et voilà, j’ai raté le trottoir,… je tombe. Où est ma chaussure ?”
Mme Charité s’affole. Elle demande du secours et une brave passante aide à relever Angèle.
– “ça va ? Vous n’avez rien de cassé ? Et bien bonne journée, vous êtes sur le trottoir, voilà votre chaussure.
Et Angèle, un peu choquée, un peu ahurie se demande pourquoi sa canne colle à ses doigts ? elle tâte, s’imagine qu’elle saigne mais il n’y a plus personne pour la renseigner, et elle ne sait plus où elle se trouve pour aller dans une pharmacie. Elle est désorienté, on l’a éloignée de son cheminement habituel, elle ne reconnait plus ses repères. elle ne peut même pas faire marche arrière car elle ne sait pas où on l’a conduite.
Bon, je vais vous rassurer. Maintenant Angèle attend quotidiennement une infirmière qui vient lui faire ses pansements sur ses doigts scalpés.
Comment pourra-t-elle lire ses livres et documents en braille avec ses doigts meurtris ? Mme Charité se trouve trop loin pour lui expliquer.
Par Odile Boisson