Autonomie, sécurité et liberté de déplacement

8èmes assises nationales de l’Accessibilité au Salon Autonomic

Dans le cadre du Salon Autonomic, Parc des Expositions de Paris à la porte de Versailles, le mercredi 13 juin dernier se tenaient les huitièmes Assises nationales de l’accessibilité. J’y ai assisté, en tant que représentant de Point de Vue sur la Ville. Pas vraiment pour découvrir des choses : il y a bien peu de science à puiser dans ces manifestations animées par la Délégation Ministérielle à l’Accessibilité ([DMA], mais il est toujours intéressant d’observer les discours, leurs évitements, l’utilisation qu’ils font des réalités pour les distordre éventuellement.

4 ateliers de 2 heures avaient lieu en parallèle. Ils furent suivis d’une restitution. Je m’étais inscrit au premier, intitulé *Un espace public à se réapproprier et à partager* (**on ne demande pas mieux…**).

*« Comment les différents enjeux du vivre ensemble peuvent-ils être pensés et problématisés pour trouver une réponse inclusive ? Les villes mutent, la voiture perd du terrain, de nouveaux espaces sont gagnés sur la voirie dédiée habituellement aux voitures, au profit des mobilités actives. Ces changements génèrent des tensions et c’est maintenant que tout se joue. A quoi souhaitons-nous que ressemblent les espaces publics et la rue de demain ? »*

Comme c’est bien emballé, après des décennies d’urbanisme soumis aux dictats des constructeurs automobiles, des bétonneurs, des compagnies pétrolières, de la grande distribution ? *Construire nos villes pour qu’elles répondent à nos besoins,* voilà qui serait bien un minimum ! Cette présentation est en tout cas tendancieuse. Comment peut-on affirmer que la voiture perd du terrain en ville ? Sur quelles statistiques la [DMA] se base-t-elle ? Vu des ministères, c’est peut-être vrai… Vu de nos fenêtres, c’est loin d’être évident !

Le mètre carré au parc des expositions coûte cher ! Les 4 ateliers se déroulaient dans la même salle. Un cerveau bien muté, multiplexé, aurait d’ailleurs pu suivre les 4 ateliers à la fois. Pour éviter les perturbations des 3 autres, nous étions munis de casques et, si l’on voulait intervenir, il fallait parler dans un micro, bien que nous ne fussions au maximum qu’une trentaine par atelier. C’était plutôt inconfortable.

Malgré l’introduction ci-dessus écrite en langue de bois, les interventions à la tribune sont restées assez sobres, seuls quelques termes à la mode, qui veulent tout dire et rien dire, prononcés de préférence à l’anglo-saxonne les ponctuaient (exemple *paradigme,* mot pourtant français). Une connivence frappante règne entre les représentants du ministère et les intervenants associatifs invités en tant que *« grands témoins »* à la tribune.

L’intervention du représentant de la CFPSAA (Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes) est dans le moule :

*« la voiture perd du terrain,* **pense-t-il,** *les piétons en gagnent, les trottoirs se sont abaissés, ils se partagent avec toute sorte d’objets roulants… Comment évoluer avec un espace où il y a moins de repères, parfois moins de bruits ? On doit abandonner nos repères anciens que constituaient murs et bordures de trottoirs. »*

Ces dernières remarques sont tout à fait justes. D’autant plus que les personnes non voyantes ont du mal à se représenter la globalité de l’espace, et donc à intégrer ses mutations.

La présidente de l’association Rue de l’Avenir, par ailleurs urbaniste de formation, souligne

*« une évolution plutôt favorable de la ville depuis 30 ans,*

tout en reconnaissant que :

*la voirie doit concilier des besoins contradictoires. Les personnes à mobilité réduite y sont,* **selon elle,** *plus visibles. L’instauration des « [zones 30] », l’introduction du code de la rue, les mesures en faveur des piétons en 2010, tout comme la baisse de la vitesse sont des mesures positives. »*

Moi, je veux bien, à condition que cette réduction des vitesses soit effective et contrôlée. Quant aux « [zones 30] », ou les zones dites apaisées, elles constituent à mon sens des espaces de non droit, tant qu’elles sont le lieu de manifestations de toutes sortes d’incivilité. Le piéton, et plus encore le piéton handicapé, y sera toujours le grand perdant. Le civisme ne se décrète pas.

*Certes,* **reconnaît-elle,** *les mesures sont souvent mal comprises, les avancées ne sont pas aussi sûres et pas forcément bien partagées sur le territoire, les efforts en matière de pédagogie,* **tant qu’on y croit,** *sont un espoir…*

Mais cette dame dresse également un diagnostic de la cité qui s’appuie sur une multitude d’aspects :

*vieillissement de la population, changement climatique, pression foncière, ambiance générale de repli sur soi lié à la « crise », technologies numériques, certaines incompatibilités entre les différents handicaps, application très lente de la loi de 2005,* **surtout quand le gouvernement s’emploie à la saccager,** *disparité entre les communes, effets pervers des nouvelles technologies dont on attend tout,* **au point de relâcher sa vigilance,** *réduction de l’espace public ou gestion de façon privative, beaucoup de vides juridiques à combler (par exemple le statut du trottoir)…*

Bon inventaire ; mais évoquer la privatisation ou la pression foncière sans les dénoncer comme des calamités reste gentil et consensuel. Enfin cette personne qui semble avoir le sens des réalités, a pointé la confiance insensée qui accompagne l’apparition des véhicules autonomes.

Le modérateur s’est risqué à quelques questions pour tester nos représentations de l’évolution des déplacements dans la ville :

*A Paris par exemple, après les travaux haussmanniens, 50 % de l’espace public était épargné pour les piétons, tandis que l’autre partie était réservée aux véhicules. La seconde moitié du XXème siècle a largement déplacé ce rapport en faveur des voitures. La tendance actuelle serait à un retour à l’équilibre initial.*

Ce n’est pas forcément flagrant… Un intervenant a fait justement remarqué que :

*même si les déplacements en voiture étaient minoritaires en terme de passagers (60 % des Parisiens n’auraient pas de voiture), l’encombrement qu’ils représentent était énorme étant donné que le conducteur est souvent seul. L’unité de compte qui serait la meilleure pour évaluer la part de chaque mode de déplacement est bien sûr le kilomètre passager.*

En réponse à la question concernant les différents usagers de l’espace public, j’ai déploré que celui-ci soit de plus en plus restreint, voire hostile aux usages ludiques, notamment pour les plus jeunes. La voirie ne doit pas se limiter à une vocation fonctionnelle, elle doit être restaurée comme lieu de rencontre ai-je insisté, ses usages informels sont un élément important de ce vivre-ensemble… Je ne me suis pas privé de livrer mon sentiment quant au fait que notre autonomie recule chaque jour davantage, en raison d’une multitude d’entraves et de dangers : appropriation des trottoirs par divers objets roulants, parkings à vélo ou pire flottes de vélos en libre-service, potelets sensés nous protéger contre l’envahissement des voitures, dispersion du mobilier urbain, occupations par les commerces, instabilité permanente due à une rotation continuelle des chantiers, perte rapide de la fluidité par manque de suivi après les réaménagements qui auraient dû la favoriser…

Le président de la CFPSAA acquiesce quant au sentiment du recul d’autonomie de la part des déficients visuels, il pense qu’il faut arrêter de rêver quant aux outils technologiques, la personne aveugle peut toujours se déplacer, mais au prix d’une importante dépense d’énergie.

Une adhérente de Point de Vue sur la Ville dit que :

*l’insécurité, qu’elle soit réelle ou ressentie, a le même effet, elle restreint nos déplacements ou mène au renoncement.*

Le modérateur a lâché :

*Les grandes villes ont maintenant une offre de transport public de qualité.*

Là encore, il s’agit de la parole officielle, provenant de personnes qui ne les empruntent pas. Bien sûr qu’il ne faut pas cracher dans la soupe, faire comme ceux qui les boudent. Mais il faut reconnaître que la fréquence et le maillage des dessertes sont variables selon les quartiers. En zone rurale, ou dans les petites villes, bien des personnes effectuent leurs déplacements en voiture parce qu’ils se sentent ainsi en sécurité (absence de trottoirs).

J’ai exprimé nos inquiétudes devant la tendance à supprimer les feux tricolores à certains carrefours des grandes villes. Non seulement, cela nous prive d’un repère, mais cela rend nos traversées encore plus périlleuses. Car les zones dites partagées le sont au détriment des plus vulnérables. Certes, il nous arrive de traverser des rues non équipées de feux (encore que je préfère faire un détour pour éviter ce type d’exercice). Mais ne prend-on pas nos désirs pour des réalités, en anticipant sur d’hypothétiques changements d’habitudes, en pensant qu’il suffit de faire comme si, pour acter un soi-disant recul de la circulation automobile ? Toute la question d’une revitalisation du centre des petites villes est posée ; Je me réjouis que la marche soit citée comme source de plaisir : redécouvrir la Lune est aussi salutaire que la pratique de l’activité elle-même…

*En attendant,* **dit notre collègue de Point de Vue sur la Ville,** *le plaisir de la marche n’est guère accessible à certains usagers de la cité actuelle, et notamment aux personnes non voyantes.*

Comme toujours dans ce genre de rencontre, les progrès à venir seront le fruit d’effort en matière de communication et de pédagogie. Ce n’est pas faux bien sûr, mais cela ne suffit pas.
On reste toujours dans l’évitement par rapport à certaines questions clés : *qui conçoit la cité ? En fonction de quoi ? Et pour servir quels intérêts ?*

Faute d’aborder les problèmes qui fâchent, ces fonctionnaires dociles de la [DMA] s’en tiennent à des cocoricos sur les avancées constatées.

——–

Le début d’après-midi était consacré à une synthèse des 4 ateliers. L’animation était assez nulle : la personne qui s’en chargeait voulait plaire et se montrer cool.

Ce fut un florilège de belles paroles pour malaxer une substance dont on ne peut faire l’économie :

*l’accessibilité n’est pas qu’une affaire de règlementation ; il faut pouvoir aller bien au-delà pour qu’elle soit effective et de qualité.
Il faut une appropriation sociétale.*

Certes ! En attendant, avancer dans un tel esprit ne me paraît guère compatible avec la pensée de marchés. Même s’il saute aux yeux des orateurs, que les chaînes de sous-traitance, comme la vision court termiste des élus ne sont guère propices à de significatifs progrès.

Par Jean-Paul Chanel

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