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Zone partagée ou miroir aux alouettes : rencontre sur le terrain avec l’adjoint de la mairie

Vue d'ensemble de la rue des alouettes

Destinées en théorie à apaiser la circulation et les relations entre les usagers de la rue, les zones de rencontre ou zones partagées engendrent bien souvent de nouvelles difficultés pour les personnes aveugles ou malvoyantes. C’est le cas de la rue des Alouettes à Lyon. Nous avons sollicité une rencontre sur le terrain avec l’adjoint au Maire du 8e arrondissement en charge de l’accessibilité pour envisager ensemble des solutions correctives.

Une nouvelle zone partagée

La rue des Alouettes, située dans le 8e arrondissement de Lyon au cœur du quartier de Monplaisir, a fait l’objet cet été de travaux de transformation en zone partagée.

Un vaste plateau a été créé entre le carrefour de la rue Neuve de Monplaisir (inclus) et la rue Maryse Bastié. Toutes les différences de niveaux ont été supprimées afin de, dixit la mairie, favoriser l’accessibilité des utilisateurs de fauteuil roulant ou de poussette. Il n’en reste pas moins que tous les repères auparavant utilisables par les personnes déficientes visuelles ont soudainement disparu.

Comme il s’agit d’une zone partagée, tous les véhicules motorisés ou non peuvent y circuler, à une vitesse inférieure à 20km/h. La partie sud de la rue, du côté des écoles primaire et maternelle, est cependant protégée par des bornes en pierre reliées par une bande de pavés lyonnais.

Après avoir reçu un appel d’une habitante de cette rue, très malvoyante et par conséquent très perdue dans ce nouvel aménagement, nous avons sollicité une rencontre sur le terrain avec Hubert Bécart, adjoint du 8ème arrondissement en charge de la mobilité, de la voirie et de l’accessibilité. 

Vue d'ensemble de la rue des alouettes

Rencontre avec l’élu en charge de la mobilité, de la voirie et de l’accessibilité de la mairie d’arrondissement

Lundi 31 octobre, nous l’avons retrouvé à l’extrémité ouest de l’aménagement, côté rue Neuve de Monplaisir. Il a commencé par nous expliquer le fonctionnement de l’aménagement en zone partagée et les efforts réalisés pour en assurer l’accessibilité.

Sur quoi nous lui avons rappelé qu’il était essentiel de solliciter les techniciens de la commission métropolitaine d’accessibilité (CMA) lors de travaux de cette envergure. Il est également utile de réaliser une concertation avec les associations de personnes en situation de handicap de manière à prendre en compte leurs besoins avant les travaux, car modifier une réalisation pour y apporter des correctifs a posteriori est toujours plus coûteux. 

Les Différentes difficultés rencontrées 

Premier problème, aucun élément tactile ou sonore ne prévient des limites de la zone partagée. Quand on vient de celle-ci et qu’on poursuit vers l’ouest sur la rue des Alouettes, on se retrouve alors au milieu de la rue sans même s’en apercevoir.

Deuxièmement, la bande de pavés séparant la zone partagée de la zone réservée aux piétons présente bien un contraste tactile par rapport au béton désactivé de l’ensemble. Mais elle n’est pas suffisamment large pour être facilement détectée.

Mieux encore, elle est régulièrement parsemée de cubes de pierre aux arêtes saillantes idéales pour fracasser les tibias des moins attentifs. Ces bornes respectent certes les dimensions minimales imposées par la réglementation accessibilité, mais elles restent difficilement détectables à la canne. Au niveau du contraste visuel, ce n’est guère mieux puisqu’elles sont de couleur gris clair sur le sol beige. Notons qu’il y a quand même eu une petite amélioration depuis l’aménagement du parvis du lycée de la Martinière où les bornes installées étaient exactement de la même couleur que le sol.

Série de plots avec des arêtes saillantes

On aurait peut-être pu avoir un meilleur contraste mais, de l’avis des acteurs du projet, le noir fait trop pierre tombale et les fabricants de mobilier urbain ne proposent rien d’autre.

Nous avons immédiatement fait remarquer à Hubert Bécart que l’idée de placer les bornes anti-intrusion précisément sur le seul élément qui aurait pu nous servir de guidage n’était pas la meilleure idée du siècle. 

Détail des bornes et des bandes de pavés

Nous avons ensuite rejoint l’habitante qui nous avait sollicités. Elle a fait part de ses nouvelles difficultés de repérage du fait que les abaissements de trottoirs et les bandes d’éveil de vigilance ont complètement disparu.

En raison de la mise en place d’un trottoir traversant à l’intersection avec la rue Maryse Bastié, il devient très difficile de localiser l’entrée de la rue des Alouettes. Il n’est plus possible non plus de différencier tactilement les entrées du lycée par rapport au croisement de la rue Neuve de Monplaisir.

De plus, du fait de la suppression des caniveaux et de l’aplanissement de la rue, et ce malgré la pose de béton drainant et de plantations censés réguler l’écoulement des eaux, il est fréquent que d’énormes flaques se forment, qu’il est bien sûr compliqué d’éviter quand on ne les voit pas.

Le feu de signalisation à l’attention des véhicules provenant de la zone partagée en direction de la rue Maryse Bastié présente un fonctionnement particulier. Il ne passe pas au vert mais à l’orange lorsque les véhicules sont autorisés à passer après avoir vérifié l’absence de piétons.

Il est équipé d’un bouton d’appel pour les cyclistes afin de faire passer le feu à l’orange plus rapidement. Ceci nous a semblé parfaitement inutile, d’une part parce qu’on voit rarement des cyclistes s’arrêter à un feu, a fortiori en zone partagée, d’autre part parce que la boucle au sol les détecte aussi bien que les voitures.

Bouton d'appel pour cycliste sur feu tricolore

Les deux traversées de la rue Maryse Bastié ont été équipées de boutons d’appel piétons, ce qui est parfaitement contraire à l’accord que nous avions trouvé avec la Métropole. Comment une personne aveugle peut-elle savoir qu’elle doit actionner un bouton pour obtenir le passage ? Ce fonctionnement ajoute de la complexité là où tout devrait être fait pour favoriser les piétons les plus vulnérables.

Bouton d'appel piéton pris en compte

Un passage piéton avait été tracé par erreur sur le trottoir traversant. Il a rapidement été décapé pour disparaître à la vue des automobilistes. Nous demandons cependant que des bandes d’éveil de vigilance soient installées pour que les personnes déficientes visuelles puissent localiser l’entrée de la rue des Alouettes.

Des difficultés confirmées par les passants

Alors que nous remontions la rue des Alouettes avec l’élu, nous avons rencontré une première passante, a priori parfaitement valide, qui a dénoncé la dangerosité des plots bas en cas de forte affluence. Aux heures d’entrée et de sortie d’école, la foule masque la présence des bornes qui deviennent alors de véritables pièges.

Nous avons également rencontré par hasard une habitante de la rue, également très malvoyante, qui, après avoir pris connaissance de la raison de ce rassemblement, a exprimé précisément les mêmes griefs. 

Notons également que pendant notre réunion, pratiquement tous les véhicules qui ont emprunté la rue l’ont fait en sens interdit, ce qui contredit manifestement le chiffre de 5 % d’infractions avancé par les défenseurs du projet.

Encore un aménagement limitant notre autonomie

Une fois de plus, nous sommes en présence d’un aménagement neuf, relativement coûteux, que les personnes aveugles ou malvoyantes vont éviter d’emprunter par crainte de perdre leurs repères et de se trouver confrontées à des véhicules sur un même espace.

Hubert Bécart, bien que très campé sur ses arguments en faveur de cette nouvelle zone partagée, s’est montré à l’écoute et semble avoir compris l’essentiel de nos difficultés. L’aménagement étant tout neuf, nous ne nous attendons pas à une transformation complète. Cependant, des repères podotactiles devraient être rétablis. Espérons tout au moins que les mêmes erreurs ne seront pas reproduites dans les futures zones de rencontre qui fleurissent un peu partout dans la Métropole de Lyon.

Réponse de Hubert Bécart

A sa demande, nous publions ici la réponse de Hubert Bécart reçue à la suite de la publication de cet article. Nous nous félicitons que la prise de conscience de nos besoins spécifiques évolue. Nous ne pouvons cependant pas admettre certains arguments, notamment l’affirmation qui laisse entendre que Point de Vue sur la ville aurait validé l’aménagement en commission mobilité-accessibilité.

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L’amélioration de la sécurité des usagers vulnérables, piétons, cyclistes et de toute personne en situation de handicap est une priorité de tous les aménagements réalisés sur demande la mairie du 8e arrondissement, en partenariat avec la Métropole de Lyon.

Le projet de la rue des Alouettes a ainsi permis d’améliorer considérablement la sécurité des piétons en élargissant le seul trottoir dont ils disposaient auparavant et en leur offrant tout l’espace de la rue, désormais quasi-piétonne et libérée de 2000 véhicules par jour. Une observation un soir, en heure creuse, pendant les vacances, ne saurait se substituer à un comptage de trafic mécanique réalisé en continu sur une moyenne de 7 jours. Ces comptages ont été réalisés à deux reprises et confirment que les usagers en infraction (circulation en sens interdit) représentent moins de 10% du trafic. De plus, des contrôles de police ont lieu régulièrement pour faire respecter ces interdictions. Le retour des riverains, des parents d’élèves et de la direction du groupe scolaire Pierre Termier sont très positifs et soulignent une amélioration notable de la sécurité et un calme retrouvé.

Une trentaine d’arbres sont par ailleurs en train d’être plantés et une surface importante a été débitumée afin d’apporter de la fraîcheur et un meilleur confort d’été pour les usagers et riverains.

La prise en compte de l’accessibilité visuelle dans les aménagements type “aire piétonne” ou “zone de rencontre” est en évolution constante. Dans cet aménagement, comme dans les précédents, la Mairie du 8e a souhaité pousser auprès de la Métropole un niveau d’exigence fort. Ainsi, les retours de l’association Point de Vue sur la Ville suite à l’aménagement réalisé devant le lycée La Martinière ont été pris en compte, comme cela est relevé dans l’article : les contrastes de matériaux ont été augmentés (pierre gris foncé sur sol beige clair) et nous avons demandé à la Métropole de réfléchir à des éléments de guidage visuel. Le trottoir de la rue Maryse Bastié et la rue des Alouettes elle même sont ainsi bordées par une bande de pavés lyonnais.

Ces solutions ont été évoquées avec Point de Vue sur la Ville à plusieurs reprises, lors des deux réunions publiques et en commission mobilité-accessibilité, et le principe a été approuvé.

Votre article suggère par ailleurs que les cyclistes sont favorisés dans cet aménagement par un bouton poussoir dédié au carrefour avec la rue Maryse Bastié. Tout d’abord, il convient de noter qu’une bande cyclable a été supprimée dans ce projet, au profit de l’élargissement du domaine piéton et en s’appuyant à la place sur l’apaisement de la rue des Alouettes et la création d’une zone de rencontre. Quant à ce bouton poussoir, il s’agit tout simplement d’un reliquat de l’ancien aménagement et il va être déposé, conformément à notre politique de suppression de ces systèmes obsolètes en milieu urbain.

Enfin, sur la question de l’écoulement des eaux de pluie, malgré quelques défauts de ruissellement ponctuels et qui sont en train d’être corrigés, il conviendrait de souligner que ce type d’aménagement en “plateau” est très courant dans toutes les zones piétonnes, notamment celles du Vieux Lyon, où l’eau de pluie s’écoule également dans le caniveau central. Les systèmes de caniveau-grille sont pour l’instant écartés par la Métropole car ils se bouchent régulièrement et exigent un entretien complexe.

Malgré ces explications, nous ne nions pas les défauts de l’aménagement de la rue des Alouettes. Le positionnement des bornes en pierre dans la bande de pavés n’était peut-être pas opportun et ces bornes elles-mêmes peuvent en effet être masquée par la présence de nombreux piétons, comme c’est le cas aux heures d’école. Le relief des pavés est inférieur à ce que la Mairie du 8e avait demandé. Enfin, davantage de de dispositifs de guidage à certain endroits de la rue, notamment les carrefours, aurait peut-être pu être implantés.

Ces défauts illustrent bien les limites entre la réglementation et l’adaptation de celle-ci à la complexité des aménagements. La prise en compte de l’accessibilité visuelle dans les aires piétonnes et les zones de rencontre souffre actuellement d’un manque de référentiels et de catalogue de bonnes pratiques d’aménagement. Ce travail d’amélioration des normes revient à la Métropole de Lyon, avec ses partenaires comme le CEREMA. Des ateliers de travail ont justement eu lieu en novembre 2021 : https://www.cerema.fr/fr/actualites/accessibilite-aires-pietonnes-quelles-cles-conception
La Mairie du 8e, en lien avec ces partenaires, rehaussera donc son niveau d’exigence en matière d’accessibilité des espaces publics et reste à la disposition des associations d’usagers pour faire évoluer les pratiques et la qualité des réalisations.

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